J’ai rencontré Chloé alors qu’elle était de passage à Medellin, après des mois à échanger ponctuellement sur instagram. Au vu de sa galerie, je savais qu’elle avait beaucoup voyagé et qu’elle avait un mode de vie original, mais je ne m’attendais pas à recevoir une telle claque en parlant avec elle. Elle fait partie des gens les plus inspirants qu’il m’ait été donné de rencontrer, si bien que ça m’a paru logique d’inaugurer ma nouvelle catégorie d’articles « Portraits » avec elle.
Incursion dans la vie d’une « semi-nomade », qui passe 9 mois de l’année à voyager, se laissant guider par ses rencontres et son instinct.
Chloé, tu as 26 ans, tu es blonde aux yeux bleus et qui plus est assez frêle. Tu passes ta vie à voyager seule, la plupart du temps en Amérique latine. Ca ne te faisait pas peur au début? Quelle est ton expérience à ce niveau là?
C’est une question qu’on me pose beaucoup. A vrai dire, la première fois que je suis partie seule c’était au Brésil et je n’avais absolument pas conscience que je pouvais éventuellement me mettre en danger. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et j’ai eu quelques mauvaises expériences, mais elles restent anecdotiques. Pour être honnête, c’est en France que les pires histoires me sont arrivées donc je n’ai absolument aucune raison de remettre en cause cette manière de voyager.
La plupart du temps, c’est plutôt un atout de voyager seule car les gens viennent plus facilement vers moi, ils sont curieux de connaître mon histoire. Au final, je rencontre tellement de gens en route que je ne suis jamais vraiment seule…
Oui, d’après les anecdotes de voyage que tu m’as racontées j’ai l’impression que plus que la quantité de pays que tu as visités ou le temps que tu restes à chaque endroit, ce sont toutes tes rencontres qui font la richesse de tes voyages. Comment fais-tu pour établir des liens avec les locaux partout, systématiquement?
Déjà, j’essaie le plus possible de parler la langue du pays dans lequel je suis. J’ai passé 1 an et demi en Amérique latine et l’avantage c’est qu’en parlant espagnol on peut communiquer avec une quantité de personnes incroyable dans sa diversité. Quand je suis arrivée au Brésil en revanche, je ne parlais pas portugais. Les gens sont si gentils et accueillants qu’on communiquait malgré tout comme on pouvait, mais ça me frustrait vraiment de ne pas pouvoir échanger plus en profondeur avec eux. Du coup, j’ai mis toute mon énergie à apprendre la langue et au bout de 2 mois je me débrouillais vraiment bien. C’est une question de volonté, mais ça me paraît vraiment très important d’être capable de parler la langue du pays dans lequel on voyage.
Ensuite, l’attitude rentre bien évidemment en jeu. Mes copains disent souvent en rigolant que si on me pose à un endroit, les gens viennent vers moi, je suis un peu comme un aimant en fait. Même à Paris je fais plein de rencontres dans la rue, les gens viennent me parler, m’inviter à leur table… Je sais pas, c’est sûrement lié à ma manière d’être, je souris facilement, je suis ouverte et surtout très peu méfiante. On entend souvent qu’il faut se méfier des inconnus, ne pas les suivre… Je ne suis pas d’accord: si mon instinct me dit d’y aller, j’y vais! C’est comme ça qu’on fait les plus belles rencontres (ou du moins les plus improbables)!
Même si tu restes assez longtemps dans chaque endroit, tu es constamment en itinérance. Comment fais-tu pour trouver des hébergements dans lesquels tu te sens bien?
Là encore, je marche au feeling. Ca m’arrive que des inconnus me proposent de venir dormir chez eux et si je me sens bien avec eux j’accepte sans me poser de question. En 6 mois au Brésil, je n’ai pas mis un pied dans un hôtel ou une auberge de jeunesse! J’ai toujours rencontré des gens qui m’ont accueillie chez eux.
C’est quelque chose qui m’a beaucoup touchée car même ceux qui n’ont rien sont prêts à partager leur foyer avec des inconnus: je me souviens de ce couple de petits vieux de 105 ans au fin fond de la campagne du Brésil qui ont partagé leur lit avec moi car ils n’avaient pas de deuxième matelas.
C’était une expérience surréaliste mais tellement humaine, finalement.
Sinon, comme je voyage à mon rythme, j’ai le temps de faire le tour des hébergements disponibles avant d’en choisir un. Pour moi, les propriétaires des lieux sont très importants car c’est eux qui feront que je me sentirai comme chez moi ou pas.
Ici en Colombie je n’ai eu que des expériences positives, je suis restée 1 mois dans une petite auberge à Carthagène et en partant on avait tous les larmes aux yeux, j’avais l’impression de quitter des membres de ma famille. C’est fou comme on s’attache vite!
Je suis aussi une grande adepte des chambres chez l’habitant, souvent quand j’arrive à un terminal de bus ou à un port il y a des gens qui viennent proposer une chambre chez eux. C’est typiquement ce que les guides de voyage conseillent d’éviter mais moi j’adore! En général c’est une super expérience car ça me permet de me plonger dans le quotidien d’une famille du coin tout en payant moins cher que si j’étais à l’hôtel.
Ca m’arrive aussi de faire des volontariats, où je travaille quelques heures par jour (généralement dans un hôtel) en échange d’un hébergement.
En Europe, quand je reste longtemps dans une ville, je cherche une colocation. En arrivant à Rome, je me suis dit que je trouverais plus facilement si j’allais à Termini, le quartier des migrants. Effectivement, j’ai trouvé en 2 jours une coloc complètement dingue! Les gens me demandaient souvent pourquoi j’étais dans ce quartier avec un peu de mépris dans la voix mais pour moi j’étais parfaitement à ma place: quoi de mieux qu’un quartier de migrants si j’étais moi-même migrante? Ironie du sort, la coloc que j’ai trouvée était avec 3 Italiennes. Comme quoi, il faut se méfier des on-dits!
C’est fou qu’à 26 ans tu aies déjà autant voyagé, eu autant d’expériences à l’étranger. Si on me dit à moi que j’ai de la « chance » de bouger autant, j’imagine que c’est une rengaine que tu entends très souvent aussi! Et d’ailleurs, comment fais-tu pour financer tous ces voyages?
Oh que oui! Ca m’énerve un peu d’ailleurs. Les gens disent que j’ai de la chance comme si c’était venu à moi tout seul, comme ça par hasard. La chance, il faut savoir se la créer et surtout la saisir. Evidemment, j’ai bien conscience que tout le monde ne peut pas s’offrir ce mode de vie, mais je fais beaucoup de concessions pour le maintenir. Tous les étés, je rentre à Paris et je bosse comme une folle 6 ou 7 jours sur 7. En France, on a la chance de pouvoir gagner de bons salaires en euros, forcément c’est tout de suite plus facile de faire durer le voyage dans des pays ou la monnaie n’est pas aussi forte. Et puis en voyage, je dépense peu et je me contente d’emporter le strict minimum. Ca me demande beaucoup de patience et de sacrifices. Ce n’est pas facile tous les jours, il faut le vouloir! Donc je ne crois pas qu’on puisse parler de chance. Si chance il y a, c’est parce que je l’ai provoquée, je l’ai décidée.
On me dit aussi que j’ai beaucoup de courage de partir comme ça à l’aventure, encore une fois cette remarque m’étonne. Je pense surtout que la première fois que je me suis embarquée dans un long voyage en solo, j’étais complètement ingénue.
Pour tout te dire, je ne savais même pas que les guides de voyage existaient! Je suis arrivée comme une fleur à Sao Paulo sans savoir où j’allais dormir le soir même.
J’ai rencontré quelqu’un à l’aéroport qui m’a emmenée jusqu’à un endroit où je pourrais trouver une chambre, finalement il n’y en avait aucune de disponible et je me suis retrouvée à la rue – pour peu de temps heureusement puisque des Brésiliens sont presque immédiatement venus vers moi et m’ont proposé de dormir chez eux.
J’avais en moi cette innocence qui ne me faisait pas forcément me rendre compte des obstacles que j’allais pouvoir rencontrer. Je suis convaincue qu’il faut savoir écouter sa part d’innocence, c’est quelque chose de très beau chez l’humain. D’ailleurs si on fait le bilan, j’ai bien fait de partir sans rien avoir prévu car ça m’a permis de partager des moments incroyables dans le quotidien des Brésiliens.
Ce que j’admire dans ta manière de voyager, c’est que tu sais rester longtemps au même endroit et apprécier les aspects non touristiques d’un pays. Ca donne un tout autre relief à tes voyages…
Je suis une fervente partisane du slow travel. Ca ne m’intéresse pas de « faire » des endroits, je veux les vivre. Bien sûr qu’il y a des incontournables: le Taj Mahal, le Machu Pichu ou le Salar d’Uyuní – j’y suis évidemment allée et c’est magnifique, mais ce n’est pas à mes yeux l’essence du voyage. Je ne comprends pas les voyageurs qui se lancent dans une sorte de marathon pour connaître un maximum de sites touristiques dans le monde. Quand on a cette logique, on voyage rapidement, sans prendre le temps d’échanger avec les gens qui vivent sur place. Personnellement, je pense que c’est dans l’échange avec l’autre que le voyage prend tout son sens.
J’aime aussi voyager en bus plutôt qu’en avion pour me rendre compte des distances, voir les paysages… Ca fait aussi partie du voyage! Alors même si je reste longtemps dans chaque pays, je suis loin de tout voir. Ca fait déjà 5 mois que je suis en Colombie et beaucoup de gens se demandent pourquoi je reste aussi longtemps, pourquoi je ne suis pas allée dans les pays voisins – ou alors ils me disent que je dois sûrement avoir vu TOUTE la Colombie. Ce n’est absolument pas le cas et ce n’est pas ce qui m’intéresse. Mon but, ce n’est pas de faire la course pour aller dans le plus d’endroits possible mais de m’imprégner de la culture locale, de rencontrer, d’apprendre. Il y a des aspects culturels qu’on ne peut comprendre qu’après être resté un certain temps dans un pays.
Quand tu parles de tes expériences passées, on ressent tout l’amour que tu as pour le voyage dans sa forme la plus brute. Comment est née cette passion chez toi, tu es tombée dans la marmitte quand tu étais petite ou tu as eu un déclic plus tard?
C’est vrai que j’ai pas mal voyagé avec mes parents étant petite, on restait en Europe mais on partait pour des road trips très longs chaque été, c’est sûrement à ce moment là qu’est né mon amour pour la route.
Mais bizarrement, je dirais que plus que les voyages, ce sont les ruptures, les changements d’habitat qui me fascinent depuis le plus jeune âge. Le voyage n’en est qu’une facette. Depuis toute petite, je suis fascinée par les migrants ou encore le milieu carcéral – tout ce qui pousse l’humain à s’adapter à un nouveau contexte, à se créer de nouveaux repères.
Et puis si on y pense, au commencement de l’humanité on était tous des nomades. La capacité d’adaptation est ancrée dans la condition humaine et je trouve ça passionnant de l’explorer. Au fil des siècles, on a construit une société où tout le monde doit rentrer dans des cases et où le travail est complètement hypertrophié – tant et si bien que notre statut social en dépend. C’est marrant tu sais, les gens me demandent souvent ce que je fais de mes journées quand je voyage, comme si le fait de ne pas travailler devait forcément signifier un vide. Mais j’apprends tous les jours, que ce soit des langues, des modes de vie, des manières d’être. Pourtant, dans l’imaginaire collectif je ne fais rien de mes journées, alors que quelqu’un qui fait tous les jours la même chose peut être considéré comme productif. C’est fou quand on y pense…
Pourtant je peux t’assurer que mes journées sont bien remplies! Déjà, il faut consacrer du temps à des choses qui sont instantanées en France comme aller chercher de l’eau potable dans certaines régions, marcher un certain temps pour acheter à manger, attendre que l’électricité revienne pour faire ce qu’on a à faire.
Et puis dans les pays d’Amérique latine que j’ai pu connaître, les priorités ne sont pas les mêmes: la conversation est d’une importance capitale dans la vie de tous les jours! On s’assied à plusieurs et on se met à discuter de tout et de rien pendant des heures. Ce sont ces conversations qui peuvent paraître anodines qui m’en apprennent le plus sur une culture.
Finalement je suis très occupée et je ne m’ennuie jamais, j’ai tellement envie de vivre mon expérience à fond que j’ai même arrêté de prendre des photos, ça me prenait trop de temps et me faisait passer à côté de super moments. Pour les capturer j’en devenais spectatrice, je ne les vivais plus vraiment.
J’ai remarqué que tu avais de nombreux tatouages, est-ce qu’ils ont une signification particulière en rapport avec tes voyages?
Pas vraiment, non. Les tatouages, c’est plutôt une manière d’avoir toujours en moi des petites œuvres d’art et de garder une trace de mes rencontres marquantes. Je suis monteuse vidéo de formation et une grande passionnée par le cinéma et les arts visuels en général. Quand j’aime le travail de quelqu’un, j’ai envie qu’il me tatoue!
Par exemple, j’ai rencontré une illustratrice mexicaine dont j’admire énormément les œuvres. Elle m’a tatouée un oiseau que j’adore. Le « Moon » sur ma nuque a été fait par un copain graphiste, j’adore le détail de la mise en abîme du deuxième 0 qui représente la lune, justement. Les roses que j’ai sur le bras, c’est un ami tatoueur Brésilien qui me les as faites – dès qu’on a commencé à parler, j’ai senti une connexion entre lui et moi. J’ai compris qu’il m’avait totalement cernée en un instant et quand il m’a dit « laisse-moi faire, je sais exactement ce que je vais te tatouer et ça te plaira tu verras » je lui ai fait entièrement confiance. Je n’avais aucune idée de ce qu’il avait en tête mais j’adore le résultat!
Vu le nombre de pays que tu as traversés, je ne peux pas résister à la tentation de te demander lesquels tu as préférés?
En Amérique latine, je dirais sans hésiter le Brésil et la Colombie.
J’ai aussi été en Argentine, en Uruguay, au Paraguay, en Bolivie, au Pérou, à Cuba et au Mexique mais ce sont deux pays dont je suis vraiment tombée amoureuse, sûrement grâce à la chaleur humaine qu’on y trouve.
En Europe, j’ai eu un véritable coup de cœur pour Lisbonne. C’est une ville incroyablement belle où les gens sont d’une gentillesse infinie. Et surtout, je n’y ai jamais vu une once de racisme, ce qui était loin d’être le cas à Rome par exemple.
A Lisbonne, on mange super bien, les Portugais sont adorables, on va à la mer en métro, la ville est magnifique et pleine de culture, la lumière est incroyable… C’est un peu la ville du bonheur!
Quand on est semi-nomade comme toi, comment appréhende-t-on le futur? Est-ce que tu as une idée d’où tu voudrais être dans quelques années? Toujours sur la route ou plus posée?
Pour être honnête avec toi, je n’en ai absolument aucune idée! Je trouve ça même bizarre de se poser la question, c’est quelque chose que je peux comprendre mais personnellement je suis trop ancrée dans le moment présent pour me projeter. Je suis là où je suis aujourd’hui, on verra bien où ça me mène. Peut-être qu’un jour j’aurais envie de me poser, peut-être pas. On verra si le regard des gens change sur moi, pour le moment on me dit que jxe peux me permettre de voyager car je suis jeune, comme si on avait une date buttoir après laquelle on ne pouvait plus le faire. Ca me paraît complètement aberrant! Après, c’est vrai que plus on attend pour partir, plus ça peut être déstabilisant de perdre ses repères. Si ça l’est pour moi qui suis jeune et assez habituée au changement, je conçois que ça puisse effrayer quelqu’un qui mène une vie bien organisée en France (surtout quand on a des enfants!).
Mais il faut accepter que le voyage est une remise en question perpétuelle, l’occasion de se retrouver face à soi-même, d’aller au-delà de ses limites et d’apprendre à apprivoiser ses peurs. Tout n’est jamais rose mais c’est ça fait partie du deal! Bien sûr il y a des moments où j’en ai marre, où j’ai des coups de blues, où je ne peux plus voir mon sac en peinture.
Mais ce sont des moments intéressants aussi car ils me permettent de faire le point et d’en apprendre plus sur moi. Je trouve qu’on a tendance à glamouriser le voyage, à ne retenir que la photo devant le Machu Pichu ou les doigts de pieds en éventail sur la plage. Mais ce n’est qu’un aspect du voyage! Le voyage, c’est aussi ne pas comprendre, se perdre et se sentir perdue, ne pas savoir où aller, avoir parfois le blues, attendre, beaucoup.
Belle conclusion! Merci beaucoup Chloé pour cet entretien passionnant, et bon vent! On se recroisera peut-être un jour, en voyage… J’espère!
Retrouvez Chloé sur instagram (@cleodiario)
Ou à Paris au resto/bar l’Asile, accosté tout l’été sur le quai d’Austerlitz
(et si vous la voyez, passez lui le bonjour de ma part!)
8 comments
Super intéressant! Bisous Pauline!
Je compte bien te faire un portrait à toi aussi ma petite Marion :)
Très beau portrait. J’adhère tout à fait à la philosophie du slow travel. Je crois que souvent, c’est le travail qui nous contraint à surconsommer nos vacances et nous empêche d’avoir cette philosophie. Quand je voyage, si je ne vois pas quelque chose par manque de temps, ça m’est égal car je pense toujours que la vie est longue et que je préfère revenir que me forcer à avaler les panoramas, monuments, randos…
Tu as tout à fait raison, c’est pour ça que trouver une forme de revenus alternative ou une manière de dépenser qui fasse durer plus longtemps la même somme d’argent est le nœud du problème pour pas mal de voyageurs à mon avis. Mais l’exemple de Chloé nous prouve que quand on veut, on peut… Tout est une question de priorités!
C’est un très beau portrait, j’aime beaucoup la personne que tu nous présentes et la façon de le faire. C’est agréable, c’est chouette à lire, pleins de bons conseils. C’est inspirant :)
Merci! Ravie que ce portrait t’ait plu, j’en ai déjà plusieurs autres en tête qui arriveront bientôt :)
Très joli portrait !
Merci Aurélie :)