Le moins que l’on puisse dire, c’est que Fawzia n’est pas une fille comme les autres! Née d’un père irako-iranien et d’une mère écossaise ayant grandi en Malaisie, Fawzia a passé la plupart de sa vie en Afrique du Sud, où ses parents se sont installés après avoir vécu notamment aux Etats-Unis, au Pakistan ou au Liban. Quand je l’ai connue, plus elle me parlait de sa vie et de sa famille, plus je lui disais qu’elle et sa tribu mériteraient vraiment leur propre télé-réalité façon Kardashian (elle m’étranglerait si elle savait que je viens de la comparer à Kim, oups)! Je vous laisse comprendre pourquoi…
Fawzia, quand on a un profil aussi cosmopolite que le tien, est-ce qu’on arrive à s’identifier à une culture? Quelle identité revendiques-tu?
C’est une question assez complexe… En fait, il n’y a aucune identité avec laquelle je me sens complètement conforme. Je pense que si je devais en choisir une, je dirais la sud-africaine car c’est en Afrique du Sud que j’ai passé la plus grande partie de ma vie. Mais c’est une question délicate car l’identité sud-africaine est quand même encore teintée d’une certaine iniquité héritée de l’apartheid, avec laquelle je suis en profond désaccord.
Je ne peux pas me cantonner à une seule identité en fait: j’ai les passeports sud-africains et écossais, j’ai grandi en Afrique du Sud et j’étudie en Angleterre. Je suis musulmane, libérale et féministe. Je suis un espèce de mix: j’ai une éducation et une idée de la liberté très européennes, la chaleur africaine, les traditions musulmanes – et je partage également certains principes de la religion bouddhiste, notamment en terme d’alimentation. Mais ça, c’est une découverte que j’ai fait assez tard, de manière personnelle et sans que ma famille y soit pour rien.
Du coup, impossible de répondre à ta question, tu vois bien que plusieurs identités cohabitent en moi et forment un résultat qui n’a pas à voir avec grand chose d’autre. Après, si on ne parle pas d’identité mais d’identification je pourrais répondre plus facilement: ce sont aux musulmans vivant en occident que je m’identifie le plus.
Je vois, c’est assez logique finalement. Donc tu te sens quand même plus musulmane que sud-africaine ou écossaise, mais tu vis ta religion de manière édulcorée. Quel est ton rapport à l’islam?
Je me sens complètement musulmane, mais je vis ma religion de manière assez libérale. Certaines de mes sœurs portent le voile et je trouve que c’est une belle démarche, une revendication de leur identité. Mais personnellement, je n’en serais pas capable: je me sentirais hypocrite de le faire puisque je ne respecte pas tous les préceptes de la religion musulmane. Tu connais mon amour pour la bière!
C’est marrant mais dans ma vie j’ai l’occasion de faire partie de deux types de minorités bien différentes: au Royaume-Uni, je suis musulmane – avec tout ce que ça implique par les temps qui courent. Comme on en parlait tout à l’heure, mon identité ne se résume pas à ma religion mais les gens qui ne me connaissent pas (ou peu) ont souvent tendance à l’oublier. En Afrique du Sud, je suis blanche – et je suis donc rattachée à la minorité qui gouverne le pays (économiquement du moins), à une sorte d’élite. Ca peut être un peu aliénant de passer de l’un à l’autre…
C’est sûr! D’un autre côté, je pense que depuis toute petite tu as l’habitude d’être différente. Après tout, tu es la seule personne que je connais à avoir un père polygame!
Haha, oui c’est vrai! Quand j’étais petite, je cachais soigneusement ce détail à l’école car j’avais bien conscience que ce n’était pas normal… Et puis en grandissant j’ai compris que je n’avais pas à avoir honte.
Ma famille est vraiment particulière mais je l’aime comme elle est. J’ai grandi avec mon père, ma mère, mes deux belle-mères (qui sont donc les deux autres femmes de mon père) et mes 8 frères et sœurs. Notre maison est en fait constitué de 4 pavillons: un pour chaque adulte. Chaque femme vit avec ses enfants mais nous sommes une vraie famille, nous partageons tout. Evidemment, il y a parfois des tensions mais c’est le jeu de toutes les grandes familles!
Comment vis-tu cette situation familiale et quelle est ta vision de la chose?
Je me reconnais totalement dans les valeurs féministes alors forcément, je ne pourrais jamais vivre avec un mari polygame et l’idée me paraît vraiment absurde sur le papier. D’ailleurs, aucun de mes frères et sœurs ne se verrait reproduire ce schéma familial.
Pour autant, si je me base sur mon expérience je ne trouve rien à redire car j’ai eu une enfance extrêmement heureuse. J’ai été entourée par des gens aimants, j’ai bénéficié d’énormément d’attention et finalement j’ai reçu plus d’amour que beaucoup d’autres enfants. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, je n’ai jamais ressenti de jalousie dans ma famille, notre environnement est très sain. Nous sommes une vraie communauté! Mon père a toujours fait en sorte de partager équitablement son temps entre ses trois femmes et ses neuf enfants.
Il faudrait vraiment que j’aille voir ça, ça doit être assez hors du commun! J’adorerais retourner en Afrique du Sud, c’est un pays que j’avais adoré. En revanche, j’avais été assez désagréablement surprise de constater que le racisme était encore très présent dans la rue et les mentalités. Moi qui m’imaginait la rainbow nation comme le pays des Bisounours, j’ai tout de suite compris que je m’étais bien plantée!
C’est drôle que tu me dises que ça t’a frappée, car justement j’allais te dire qu’on peut très bien vivre en Afrique du Sud sans jamais prendre conscience des inégalités qui existent en fonction de la couleur de peau (sauf peut-être dans les grandes villes). En fait, le niveau de développement est vraiment lié à la géographie du pays: dans les zones les plus riches, tu trouveras une majorité de Blancs, mais aussi des Noirs issus des classes bourgeoises. Ils fréquentent les mêmes écoles, ont le même mode de vie – ce qui peut nous mener à penser que tout le monde est logé à la même enseigne, indépendamment de sa couleur de peau.
Et comme les townships (les quartiers les plus pauvres) sont complètement excentrés et isolés, personne n’y va jamais à moins d’avoir quelque chose à y faire (et pour être honnête, si tu n’y vis pas tu n’as rien à y faire!). Du coup, ce sont deux mondes qui vivent en parallèle sans jamais se croiser, et deux réalités bien différentes. Je peux t’assurer que dans les townships, tu ne verras jamais un seul Blanc!
Mais pour moi le plus étrange, c’est de voir à quel point les populations noires et pauvres d’Afrique du Sud restent fascinées par les Blancs. Ils n’ont jamais entendu parler de l’apartheid (c’est un sujet qu’on aborde exclusivement dans les écoles privées), ne connaissent pas l’histoire de leur propre pays et assimilent les Blancs aux stars de télévision, à des gens beaux, glamours.
L’année dernière, je donnais des cours dans une école primaire à des élèves issus d’un milieu très modeste dans le cadre de mon doctorat. Un jour, j’ai invité un professeur anglais avec qui je discutais de ma thèse à venir me rendre visite. Il étudiait les techniques d’éducation dans l’Afrique du Sud post-apartheid et était ravi de pouvoir voir de lui-même comment ça se passait concrètement dans une école assez reculée. Quand il est arrivé, mes élèves se sont complètement transformés: ils se sont mis à glousser de plaisir, ils l’ont mitraillé de photos et ont tous changé leur photo de profil whatsapp le jour même pour mettre une photo de ce professeur – même ceux qui ne l’avaient pas rencontré!
La venue d’un homme Blanc dans leur région était pour eux une vraie sensation, ce qui est quand même une idée assez dérangeante quand on connaît l’histoire du pays. Mais bon, c’est un mal assez répandu en Afrique et ce serait le sujet d’un tout autre entretien!
Tu as raison, plus tard peut-être si je viens te rendre visite en Afrique du Sud ;) Merci beaucoup Fawzia d’avoir partagé ton expérience et à bientôt quelque part sur le globe!
3 comments
Juste un mot : wow ! Superbe découverte, Fawzia t’as l’air géniale comme fille :-)
Merci pour cette interview :-)
Je te confirme, elle est géniale !! Je lui transmettrai ton gentil commentaire :) (elle ne parle pas français)
Bonne fin de semaine Stéphanie!
Superbe portrait, très intéressant, en effet son histoire est assez hors du commun :) merci pour le partage !