On continue notre découverte de la Colombie en mettant le cap sur la côte caraïbe. Tolú, petit village côtier dont est originaire Javier, est un endroit dans lequel je passe beaucoup de temps. Bien que je connaissais le village, c’est vraiment lors de notre dernière escapade là-bas il y a deux semaines que j’ai eu l’impression de profiter pleinement de ce microcosme.
Tolú, un choc des cultures?
Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir déjà pas mal voyagé hors Europe ou de connaître du monde sur place, mais je n’arrive plus à voir Tolú comme un village représentatif d’un « pays en voie de développement » (j’utilise cette expression que je déteste, mais c’est justement pour faire tomber les clichés).
Quand on arrive dans un lieu complètement différent de ce qu’on connaît ou qu’on a l’habitude de voir, on est tout de suite frappés par les différences: le rythme de vie plus lent, les maisons en toit de chaume, les marchants ambulants qui vendent de la viande en pleine rue. Mais peu à peu, quand on prend racine, on commence à percevoir ce tableau pittoresque d’une manière bien différente et à déconstruire certains mythes qui existent en Europe.
Du passé fantasmé à la modernité relative
J’ai d’abord connu Tolú à travers les récits que me faisait Javier de son enfance: il me racontait comment il avait grandi au beau milieu d’une famille gigantesque dont les membres habitaient tous à quelques pas les uns des autres. Comment les producteurs de lait, de fruits et de légumes venaient chaque matin frapper à sa porte à dos d’âne pour vendre à sa mère leurs marchandises fraîchement récoltées. Comment la joie l’emplissait de la tête aux pieds quand venait enfin l’heure d’étrenner ses nouveaux habits blancs chaque 31 décembre. Comment il allait acheter les quelques grammes de sucre utiles à la journée dans l’épicerie du coin, fièrement mandaté par ses parents. Comment il se réunissait avec tous ses cousins devant la télé en noir et blanc de ses grand-parents, les seuls de la famille à en posséder une. Comment il s’était pris d’affection pour son poulet, offert alors qu’il n’était qu’un poussin et qui était devenu son animal domestique (et comment il a été un jour servi à table, mais ça c’est une autre histoire!).
C’était il y a une trentaine d’années et depuis les choses ont bien changé. La modernité est entré dans le village sans crier gare. Les routes ont été goudronnées, des supermarchés se sont installés, plusieurs toits de chaume ont été brûlés. Mais les gens sont restés les mêmes. Il faut dire que c’est difficile de changer quand tout le monde se connaît…
Une maison, une fonction
Ici tout le monde occupe une fonction: il y a bien sûr les notables du village – le maire, les instituteurs, les propriétaires de terres -, mais aussi tous les petits commerçants qui font vivre les rues des quartiers. A part dans les supermarchés, il n’y a pas d’entreprise qui recrute à Tolú: chaque famille crée ainsi sa petite affaire: les femmes des pêcheurs s’occupent de vendre le poisson, les propriétaires de grandes maisons deviennent hôteliers, les jeunes s’organisent en laveurs de voitures. Et puis il y a ceux qui vendent quelques articles directement dans leur maison, avec pour simple publicité un petit panneau en bois peint devant leur porte. Il est bien souvent superficiel puisque tout le monde est au courant de l’activité des uns et des autres. Photographe, fabricant de douceurs, réparateur d’électro-ménager, coiffeur ou même vendeur de glaçons: ils rivalisent de créativité pour combler les nécessités de la vie quotidienne.
L’ADN d’un microcosme
Le paradoxe, c’est que les gens travaillent très peu mais que la pauvreté ne se ressent pas. Pourquoi? Tout simplement parce qu’elle n’a pas sa place. Chaque famille mutualise ses ressources pour que personne ne manque de rien: quand on prépare à manger, on le fait toujours dans des gigantesques casseroles pour ensuite envoyer le repas aux proches qui n’ont que peu de ressources. La famille est une unité sacrée que rien ni personne ne peut ébranler, malgré les coups bas et les on-dit de quelques uns à l’intérieur même de la famille (forcément, c’est pas le pays des Bisounours…).
Une journée type commence par le café du matin, servi par l’employée de maison. Une bonne douche froide, puis le petit-déjeuner face au ventilateur. S’en suivent un vrai défilé: le cousin, la tante, la nièce ou l’ami d’enfance viennent tour à tour nous rendre visite. C’est ensuite à nous de sortir pour aller voir comment vont les grand-parents. En chemin, il arrive souvent qu’on soit hélés par une tante qui nous demande de venir l’aider à frire le poisson, par une cousine qui veut nous offrir le café, par une connaissance qui veut nous montrer les derniers venus dans sa famille. Après le repas, la sieste dans le hamac s’impose pour digérer, avant d’aller se baigner à la plage. Le soir, il n’y a pas beaucoup d’options: aller boire un jus au parc, se promener le long du bord de mer, espionner le paresseux qui vit sur l’un des arbres centenaires de la place centrale du village. Et pas grand chose de plus. Mais on discute, on raconte, on écoute, on échange. Les rapports humains sont au centre de toutes les distractions.
Se « développer » au nom de quoi?
C’est pour ça que l’expression « en voie de développement » me gêne tant. C’est une expression si péjorative, si réductrice. Je comprends bien qu’on parle de développement économique, mais quand je vois ma belle-mère qui est institutrice, finit à midi, a une employée de maison à son service tous les jours de la semaine, redistribue une bonne partie de son salaire pour aider ses parents, ses frères et ses sœurs et possède plusieurs maisons dont une sur une plage presque déserte, ça me paraît quand même assez aberrant. Qui devrait prendre exemple sur qui?
Alors plutôt que de parler de pays en voie de développement, je préfère parler de tiers monde. Pas pour la connotation de pauvreté, mais parce que oui, c’est un monde à part, coupé du capitalisme… et très heureux ainsi.





12 comments
Ouah, ces couleurs! Ces façades sont magnifiques!
Oui t’as vu! Comme quoi même avec peu de moyens on peut construire de jolies petites maisons :)
très joli cet article. Le terme tiers monde reste encore gênant pour moi cependant parce que si c’est un tiers quels sont les deux autres mondes ? Mais ce qui est intéressant c’est que tu nous montres comment dans notre monde globalisé, on peut toujours changer d’échelle et trouver autre chose. Et je pense que ça vaut pour d’autres pays, en Italie aussi je trouve un monde qui a su garder son identité et la recréer sans se fondre dans l’uniforme du progrès, tous égaux tous pareils.
Merci Lucie pour tes commentaires toujours pertinents! Le terme tiers-monde est évidemment gênant car il est très connoté, mais je le préfère au terme de « pays en voie de développement », qui se veut plus neutre mais n’offre aucune possibilité d’interprétation plus positive. Je crois que le terme tiers monde vient de la guerre froide, le premier monde étant les pays « occidentaux » capitalistes et le deuxième monde les pays soviétiques et leurs alliés (comme la Chine).
Je pense que même en France on peut retrouver à petite échelle des villages qui ont une organisation similaire. Ce que j’ai surtout voulu dire dans cet article, c’est que les classements de « développés » ou « non développés » sont un facteurs différentiateurs très forts (qui impose une hiérarchie par la même occasion), mais que si on y regarde de plus près, ils n’ont pas vraiment de légitimité.
Tes photos sont absolument sublimes ! Je reviens tout juste d’un mois passé à Cuba, et je reconnais tout à fait tout ce que tu racontes de ce village colombien, les gens n’ont pas grand chose mais ils s’entraident, ils s’organisent, et la passion n*1 : « conversar » :) ! Les relations humaines sont au coeur de la vie, et quand on revient en France ça fait bizarre et on se dit qu’on devrait faire pareil, la vie serait plus belle :) rien que le fait de ne pas connaitre ses voisins…
Merci beaucoup!
Je suis tout à fait d’accord avec toi, et le fameux « conversar » est aussi un terme très employé ici ;)
Après forcément, dans les grandes villes c’est plus difficile de connaître ses voisins, même dans les pays qui ont cette tradition de l’échange humain. Mais moi qui vit dans un immeuble d’une centaine d’appartements, je vois bien que les gens s’intéressent les uns aux autres quand ils se croisent. C’est tout de suite plus chaleureux!
J’ai moi du mal avec pays du tiers monde, que je trouve encore plus péjoratif qu’en développement (Surement aussi parce que c’est un terme et un sujet avec lequel je travaille). On n’utilise d’ailleurs plus en voie de développement ou tiers monde, dans le développement international en tout cas. En développement fait référence au développement industriel, cela ne veut pas dire qu’on attend de tout pays le meme développement économique et industriel, meme si c’est comme ca qu’il a été vu par Truman en 1945 mais les choses ont évoluées depuis, et on sait maintenant que tous les pays ne peuvent pas se diriger vers le meme mode de développement que les pays dits développés et aussi que ce ne serait pas possible biologiquement parlant (il faudrait une autre planète terre pour satisfaire les besoins de tous)(et j’imagine par les dégâts en terme écologique). Et c’est surtout une appellation qui correspond à des notions, des valeurs, des idées et qui permet aussi des aides économiques notamment avec les institutions mondiales. Par contre, non en développement ne fait pas seulement reference au développement économique, mais aussi et surtout je dirais, au développement humain, d’où l’Indice de Développement Humain (avec la scolarisation, espérance de vie etc.)
Tes photos sont encore une fois superbes et j’aime beaucoup la description qui les accompagne. J’aime aussi ta reflexion, pourquoi mettre des pays, des villes dans des cases au nom d’un développement auquel il aspire ou non, alors que les gens vivent une vie paisible, qui leur convient. Pourquoi devrait-on imposer des règles, des traditions, des normes ? J’aime le fait que tu insistes sur un differente échelle de valeurs, une differente vision du monde, que personne n’a tort ou raison ;)
Merci pour ton éclairage :) Je savais que le terme tiers-monde soulèverait des polémiques! Ce que j’ai voulu dire c’est que l’expression en elle-même met l’accent sur un monde à part, différent. Donc si on enlève la connotation hyper péjorative qui bien sûr existe, eh bien je trouve cette appellation pas si mauvaise après tout. En revanche, pays en voie de développement est sans équivoque. Et puis ce côté « développé »/ »en développement » qui voudrait dire que chez nous tout est beau et achevé alors que les autres pays ont encore du chemin à faire et doivent tendre vers notre modèle (parce que même si on se rend compte qu’il y a plusieurs modèles de développement pour la plupart des gouvernements j’aurais tendance à dire qu’ils veulent se rapprocher au maximum du modèle occidental), je ne suis pas du tout d’accord.
Je suis bien d’accord en revanche avec le fait que tous les pays ne peuvent pas avoir le même modèle de développement, toujours est-il que dans beaucoup de pays « en développement » il y a énormément de dégâts écologiques faits par des entreprises souvent étrangères et c’est bien ça le pire: on pille les ressources d’un pays qui ne bénéficiera même pas de l’effort industriel. Donc la révolution industrielle dans les pays « en développement », j’ai un peu de mal à y croire ou à cautionner… Quant au développement humain, je trouve que c’est un terme beaucoup trop occidental pour être appliqué universellement. Evidemment je suis convaincue que tout le monde doit avoir accès à l’éducation, mais je pense aussi qu’on a trop tendance à appliquer notre modèle occidental à des pays qui n’en veulent pas forcément. Comme tu dis tout est une question d’échelle: si les gens s’organisent en petite unité comme par exemple dans les villages et que tout fonctionne bien pour eux, qu’ils sont heureux comme ça, pourquoi aller leur dire comment faire les choses pour aller mieux? Quant à l’espérance de vie, bien sûr il faut faire quelque chose contre la mortalité infantile mais en dehors de ça, est-ce qu’un vieillissement de la population partout dans le monde est viable pour la planète? Encore une fois, j’aurais tendance à dire que la plupart des pays « en développement » se débrouillent pas si mal tout seuls. Je ne parle pas des politiques des gouvernements mais plutôt des petites échelles comme le village, la famille, le foyer.
C’est un thème complexe, j’y ai été moi-même confrontée en tant que jeune ambassadrice de l’Unicef puis plus tard dans mes études (j’ai un master de droit international & développement justement) car j’ai eu des profs excellents qui venaient de pays comme le Zimbabwe ou le Malawi et qui m’ont fait voir les choses autrement. Si ça t’intéresse tu peux lire les parutions de Fareda Banda qui était l’une de mes profs, elle est passionnante! En les écoutant, en lisant et en essayant d’organiser mes pensées après une telle tempête d’idées, j’ai un peu eu l’impression que toute cette histoire de développement international était quand même assez hypocrite et que peut-être devrait-on se concentrer davantage sur l’aide humanitaire d’urgence et les droits des minorités (ethniques, religieuses ou même tout simplement les droits des femmes). Mais encore une fois, c’est un sujet très complexe et il y a évidemment des arguments pour ou contre, en tout cas je suis très heureuse d’avoir une fidèle lectrice comme toi avec qui on peut avoir ce genre de débat!
Bonjour Pauline,
Je pars en Colombie deux semaines et après lecture de votre blog, nous avons décidé notamment de passer quelques jours à Carthagène, puis de nous rendre à Tolu pour accéder à l’isla Mucura. Ensuite nous avons prévu de nous rendre de Tolu à Medellin. Quel est le moyen le plus rapide de faire ce trajet? Existe-t-il des aéroports dans la région de Tolu?
Merci par avance pour vos réponses,
Marguerite
Bonjour Marguerite,
Oui, il existe une compagnie (Ada) qui relie Tolú à Medellin en avion (des petits coucous d’une quinzaine de place) en 1h. Une super expérience de vol!
Hello Pauline,
Bravo et merci pour ton blog, qui nous a beaucoup éclairé et aidé à préparer notre futur voyage en colombie avec mon conjoint ! Tes photos sont superbes et tes articles vraiment intéressants, ça nous met vraiment l’eau à la bouche :)
Notre voyage dure 2 semaines et nous avons déjà booker le début (bogota) et la fin (Cartagène) mais voila, il nous reste un creux de 3 jours pour lequel nous n’arrivons pas à nous décider.
Nous prévoyons quelques jours sur l’ile Isla Mucura et pour cela nous arrivons le soir à Tolu, passons une nuit sur place pour prendre le bateau le lendemain. 4 jours avant nous serons à Medellin. As-tu une destination à nous conseiller entre Medellin et Tolu ? soit qui nous permette de nous rapprocher de Tolu, sinon nous ne sommes pas contre une destination plus lointaine sur la cote caribéennes mais nous essayons d’éviter les temps de trajets trop longs car 2 semaine c’est assez court ! :)
Merci infiniment pour ton retour,
Bien à toi,
Bonjour Morgane,
Le triangle du café peut-être? Un crochet par Salento depuis Medellin, avec la Valle du Cocora peut être envisageable. En revanche, il y a pas mal de temps de trajet! Tolu n’est pas très bien desservi, mais une autre option peut être d’y arriver depuis l’aéroport de Monteria (il y a peut-être des vols depuis Pereira dans la zone du café, à vérifier!)