Après San José, ma deuxième escale au Costa Rica a été chez les parents de mon amie Layla. Une superbe demeure qui contenait toutes les caractéristiques d’une maison de famille: une grande table de repas, des photos de mariage ou de remise de diplômes, des souvenirs de voyage, un coin salon sur la terrasse, des plantes en bonne santé, des notes sur le frigo. A la différence près que cette maison est située au beau milieu de la jungle, dans un environnement hors du commun… Qui m’a fait prendre conscience de l’incroyable avance du Costa Rica en matière de développement durable.
Layla, tu n’a pas grandi dans une ville, et pas non plus à la campagne. Peux-tu nous décrire l’environnement dans lequel tu as passé ton enfance?
J’ai grandi sur le campus d’une université dont mon père est le directeur: Earth University, un établissement unique en son genre situé au milieu de la forêt tropicale. Comme nous sommes au milieu de nulle part, les étudiants et le corps éducatif habitent sur place, nous sommes une vrai communauté!
Earth forme des étudiants d’Amérique latine, des Caraïbes, d’Afrique et d’Asie aux méthodes d’ingénierie agronome durables et de gestion des ressources naturelles. De retour dans leur pays, ils répliquent ces techniques et diffusent les valeurs d’entreprenariat étique et durable ainsi que de respect de la nature.
Comme tu peux le voir, le campus est gigantesque: il y a les petites salles de classe, finalement peu nombreuses car beaucoup d’enseignements se font en extérieur, le jardin botanique, les résidences étudiantes, les plantations réservées à la pédagogie, les unités de production alimentaire, et des hectares de nature sauvage.
Bonnes conditions de travail, production biologique, auto-suffisance énergétique… Earth est une référence en matière de développement durable!
Oui! En fait, on fonctionne un peu comme une ferme: 75% de notre alimentation est produite sur place, que ce soit le bétail, les fruits ou les produits laitiers. Ici, on se déplace en voiture de golfe et on va acheter nos produits frais dans la petite épicerie de l’université: fromages, yahourts ou bananes – tous proviennent des élevages et des champs de l’université.
Notre terre est si abondante qu’il nous reste même des surplus de production que nous vendons aux filières agro-alimentaires: tu peux par exemple retrouver nos bananes dans les supermarchés de tout le pays. Elles sont étiquetées Earth University, ce qui est un label de qualité ici au Costa Rica.
Mais plus qu’une ferme, nous sommes avant tout une université centrée sur le développement durable et le respect de l’environnement, et nous créons donc notre propre énergie en recyclant le fumier des cochons. Nous sommes auto-suffisants en matière énergétique et tout ce qui se produit sur place est biologique.
Et comme Earth est une institution académique, elle a aussi sa vie estudiantine. Les étudiants organisent souvent des activités: concerts, cours de yoga… En général tout se fait en extérieur car nous sommes situés au milieu d’une forêt tropicale. Nous avons aussi un spot de barbecue entre le jardin botanique et les rivages du fleuve, ce qui est plutôt sympa!
Avoir grandi dans un tel environnement n’est vraiment pas commun, est-ce que tu penses que cela te fait voir la vie d’une manière différente?
Pendant longtemps, je ne me suis pas rendue compte de la chance que j’avais de vivre dans un tel environnement. Il faut dire que nous sommes dans une région rurale et la plupart de mes amis ici ont grandi dans un cadre très naturel puisque leurs parents sont à la tête de fermes productrices de bananes.
Ce n’est que quand je suis arrivée à San José pour y étudier que j’ai commencé à prendre conscience que mon enfance avait été particulièrement agréable. Mais au Costa Rica, nous sommes très nombreux à vivre en pleine nature et la conscience écologique est très forte, donc je ne pense pas être si différente que ça.
J’ai quand même du mal à croire que cette enfance fortement marquée par l’écologie et le développement durable ne t’ait pas influencée plus que ça! D’ailleurs, il n’y a qu’à voir ce que le thème de ton doctorat: une étude comparative sur les fermes productrices de bananes au Costa Rica, en fonction de si elles arborent le label commerce équitable ou non.
Oui, c’est vrai, je n’y avais pas pensé! Forcément, quand ton père est directeur d’une université qui véhicule les valeurs de développement durable, de commerce équitable et de respect de la nature ça finit par faire partie de toi. Cela m’a donné un œil plus critique lors de mes recherches sur le terrain car je sais comment doivent se produire les bananes pour respecter toutes les normes laborales et environnementales du label commerce équitable.
Mais je dirais que ce qui me différenciait vraiment de mes amis étant plus jeune, c’était le contact quotidien que j’avais avec les étudiants venus de toute l’Amérique latine et des Caraïbes. Maintenant nous avons aussi des étudiants africains, d’ailleurs tu as pu le voir quand nous avons pris un Ougandais en stop en sortant du campus il y a quelques jours. J’ai bien conscience de la richesse de telles rencontres, mais d’un autre côté je les ai aussi beaucoup normalisées puisqu’elles ont fait partie de mon quotidien depuis aussi loin que remontent mes souvenirs. J’ai des amis au Guatemala, au Mexique, au Bélize, à Trinidad et Tobago… un peu partout sur le continent!
Mon père étant libanais, j’ai toujours eu une sensibilité multiculturelle mais c’est vrai qu’elle s’est accentuée au fil de mes rencontres. J’ai grandi entourée de personnes fantastiques qui avaient pour but de créer un monde meilleur, plus juste et respectueux des ressources naturelles. Une sorte d’idéal de tolérance, mais tourné vers la nature.
C’est génial d’avoir eu un tel contact avec la nature pendant la plus grande partie de ta vie! J’imagine quand même qu’il y a quand même des côtés de la ville qui devaient te manquer…
C’est sûr que quand tu habites au milieu de la forêt tropicale, tu n’as ni boîte, ni cinéma, ni boutiques. Mais à Earth, on a un fleuve. Toute ma vie sociale était articulée autour de ce fleuve: c’est là que je retrouvais mes amis pour des journées entières à grimper à des lianes, sauter dans l’eau, barboter, papoter… Nous avions une incroyable sensation de liberté: nous étions lâchés dans la jungle, mais nos parents ne s’inquiétaient pas pour autant car nous restions dans l’enceinte de l’université qui bien qu’immense est complètement sûre.
Comme nous n’avions ni bar, ni resto, ni boîte, nous ne rations aucun concours de beauté ni aucune fiesta patronal, les fêtes des villages alentours aux allures de mini fête foraine. Nous n’y allions pas pour l’événement en soi, mais juste pour le plaisir de danser sur la musique. Je me rappelle d’ailleurs ma stupéfaction quand, en entrant pour la première fois dans un bar à San José, on m’a expliqué que les gens venaient pour boire, non pas pour danser. Ca me paraissait complètement aberrant!
Maintenant que tu vas terminer ton doctorat en Angleterre, où est-ce que tu te vois vivre? Europe, Costa Rica, ville, campagne?
Malheureusement, mon père prend sa retraite à la fin de l’année. Cela signifique que mes parents devront quitter notre maison à Earth, la maison où j’ai grandi et où j’ai tellement de souvenirs… Ils emménageront à San José, et c’est là que je pense m’installer aussi. Non pas parce que c’est l’endroit que je préfère, mais parce que c’est là qu’il y a du travail. Je me console en me disant qu’au Costa Rica, on n’est jamais bien loin de la nature!
4 comments
Superbe ce portrait ! Le Costa Rica est un pays que j’aimerais beaucoup visiter.
C’est je pense un pays qui vaut vraiment le détour parce qu’il est différent de tous les autres :)
Magnifique article, quelle histoire de vie hors normes !
On peut dire ça comme ça oui :)
Quand on voyage, on se rend compte qu’il y a tellement de manières différentes de vivre sa vie, loin des schémas traditionnels qu’on a en France. Pour moi qui enfant pensait que tout le monde vivait de la même manière voyager, explorer et découvrir de nouveaux paradigmes a vraiment été une libération, maintenant le champs des possibles est bien plus large à mes yeux.